M. Vernez: Les débuts de l’exploitation saline dans le Chablais vaudois, 1554-1685

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Titel
Une pincée de sel. Les débuts de l’exploitation saline dans le Chablais vaudois 1554 – 1685


Autor(en)
Vernez, Marlyse
Reihe
Bibliothèque historique vaudoise
Erschienen
Lausanne 2020: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
288 S.
von
Étienne Hofmann

Cet ouvrage est issu d’une recherche qui remonte aux années 1970, quand Marlyse Vernez avait commencé une thèse dirigée par Paul-Louis Pelet. Une carrière de bibliothécaire et une cécité progressive ont retardé puis compromis l’achèvement de ce travail. Lucienne Hubler a eu le mérite de mener sa publication à chef, en assurant une collaboration très efficace. Le public francophone peut être reconnaissant de disposer ainsi, dans un très beau volume richement illustré, des résultats d’une longue enquête fondée sur des archives essentiellement bernoises et vaudoises, qu’il a fallu déchiffrer et traduire.

Trois chapitres parcourent sur cent trente et un ans les débuts de l’exploitation chablaisienne. Depuis la mention d’une source salée en 1554 jusqu’à ce que Berne décide en 1685 de reprendre les rênes de l’entreprise, LL.EE. ont hésité entre le système du faire-valoir direct (régie), et la remise à des tiers concessionnaires. Ce dernier mode apparenté au fermage a l’avantage certain, surtout au début et quand tout est à construire, de laisser des financiers prendre les risques, tout en assurant une production sans doute faible, mais non négligeable. La première concession ne dure que quatre ans ; Berne confie ensuite l’affaire à des employés pendant huit ans, puis revient à la concession pour une longue durée de plus d’un siècle, au cours de laquelle se succèdent des hommes d’affaires d’Augsbourg : Seeler, puis la dynastie des Zobel sur quatre générations. Faut-il rappeler qu’alors et jusqu’au XIXe siècle, Panex, Roche puis Bévieux représentent la seule exploitation salifère de toute la Confédération. Celle-ci est donc tributaire pour la consommation de l’ouest du pays des salines du Midi (Peccais) et de Franche-Comté (Salins) ? Quand Louis XIV s’empare de cette dernière région alors espagnole, le royaume a la haute main sur une grande partie de l’approvisionnement des Suisses en sel marin (dit gris ou sale) et en sel blanc du Jura. Dans ce contexte, le sel chablaisien prend une dimension politico-économique importante Après la partie dévolue au mode de gestion des salines vient une série de chapitres thématiques.

Les deux premiers approfondissent ce qui a été dit sur les concessionnaires, puis nous apprennent qui étaient les « facteurs » ou directeurs de mines (très souvent proches parents des gérants ou fermiers). Avant d’en venir aux ouvriers, deux sections détaillent les travaux des mines, puis la construction des salines proprement dites, où l’eau des sources est amenée, graduée et enfin cuite dans les poêles. Particulièrement captivants sont les détails techniques sur les conduites en bois (saumoducs), les auges de graduation, permettant d’augmenter la salinité par des passages successifs sur de la paille, la fabrication et surtout l’entretien des bassins de cuisson. Si bien des opérations décrites sont relativement familières aux visiteurs de musées du sel ou aux lecteurs d’ouvrages généraux ou de monographies, elles prennent ici une dimension plus authentique, placées dans leur contexte et établies scrupuleusement sur des documents patiemment retrouvés. On mesure ainsi l’ampleur du travail accompli par Berne pour arracher à la montagne une quantité assez faible d’or blanc. La détermination bernoise, malgré le peu de rentabilité, est remarquable. LL.EE. soutiennent les directeurs lors des fréquents conflits avec les communes locales ; si la population tire quelques profits des salines, elle subit aussi les conséquences de l’implantation d’une activité quasi industrielle (déforestation, ravages causés par le flottage du bois, etc.). Grâce aux divers comptes, on connaît les noms, les métiers et les salaires des différents ouvriers (mineurs, mouilleurs ou gradueurs, bouilleurs, ainsi que tous métiers liés au bois, sans oublier les charretiers, forgerons, âniers et les servantes). Leur nombre n’est pas facile à déterminer : plusieurs dizaines en tout cas. Si ceux des mines et salines sont la plupart du temps étrangers (allemands ou autrichiens), les autres sont du cru ou confédérés. Les salaires sont distribués pour certains en nature ou mixtes. « Surprise réjouissante » (p. 149), les sources croisées avec diverses études ont permis de savoir comment se nourrissait tout ce monde des salines.

Trois inventaires (1664, 1678, 1685) décrivent les habitations, ateliers, meubles et tout le matériel nécessaire à l’exploitation. On sait grâce à eux que les salines « représentent un investissement considérable », le plus important de tout le Pays de Vaud (p. 161) ; c’est ce qui explique la nécessité du recours à d’importants capitalistes allemands. Mais les Zobel, ruinés par la guerre de Trente Ans, ont laissé péricliter les salines, ce dont témoigne l’inventaire de 1678. C’est le locataire Franconis qui les remet en état avant la passation à Berne : « L’accroissement des investissements, les améliorations apportées aux installations, l’ouverture d’une troisième saline au Bévieux prouvent en tout cas que l’entreprise est en pleine expansion lorsque le gouvernement bernois décide de son rachat en 1684. » (p. 168). Outre les terrains occupés par les habitations et les ateliers, le domaine foncier des salines s’agrandit par les achats des facteurs successifs : champs, alpages et droits d’exploitation forestière accroissent les propriétés de l’entreprise ou celles des directeurs. Parmi la richesse documentaire, il faut signaler les trente-cinq registres de comptabilité conservés à Lausanne, donnant une idée de l’ampleur des dépouillements effectués.

Les concessionnaires doivent payer la dîme à LL.EE. Cet impôt qui frappe céréales, vin, jeune bétail est prélevé aussi sur les minerais, dont le sel ; tandis que les autres sont payées en nature, la dîme du sel se fait en espèces. Certains concessionnaires en ont été provisoirement exemptés, pour encourager ou compenser les investissements coûteux des salines.

La production totale illustrée par un graphique (p. 208) décroît au cours du XVII e siècle ; après un départ florissant, atteignant presque 400 tonnes dans les années 1620, la courbe s’abaisse, sauf quelques soubresauts, aux environs de 200 tonnes. Cela ne peut suffire qu’aux besoins des dix mille habitants du gouvernement d’Aigle ! Le reste de l’immense Canton de Berne doit s’approvisionner en France ou en Lorraine.

L’abondance des détails, une information très riche soutenue par des références aussi sobres que précises ne nuisent pas à la clarté de l’exposé. Soulignons aussi les efforts qu’il a fallu faire pour surmonter les difficultés d’interprétation des sources, dont poids et mesures, monnaies et nomenclatures sont si variables. Qu’un tel résultat suscite des émules pour que la période 1685 à 1798 soit aussi bien décrite !

Zitierweise:
Hofmann, Étienne: Rezension zu: Vernez, Marlyse; Hubler, Lucienne (collab.): Une pincée de sel. Les débuts de l’exploitation saline dans le Chablais vaudois, 1554-1685, Lausanne 2020. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 192-193.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 192-193.

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